Le Monde est une île


Le monde est une île.

La première fois que tu m'as dit ça, je n'étais pas sûre de t'avoir bien entendu. Je me souviens avoir froncé les sourcils et t'avoir demandé de répéter. C'était notre premier rendez-vous, nous marchions dans la rue, à la vitesse d'escargots, sans destination ni horaire, juste à discuter, divaguer, à apprendre à nous connaître.

Tu aurais pu laisser tomber à ce moment-là. Tu aurais pu saisir la perche qui n'en était pas une et retirer ce que tu venais de dire, de peur de passer pour un imbécile dès le début, ou à l'inverse parce que tu ne savais pas encore si moi j'en valais la peine.

Mais tu as insisté. Le monde est une île.

Alors j'ai souri, parce que je me suis doutée que c'était une théorie que tu avais dû mettre un certain temps à échafauder, et que je n'avais donc pas le droit de me moquer. J'étais également flattée que tu la partages avec moi, surtout alors que je ne la comprenais pas. Bon, d'accord, j'ai surtout souri pour que tu ne voies pas que je ne comprenais pas, même en sachant pertinemment que ça n'allait pas fonctionner.
Pour être honnête, j'avais beau savoir que ce n'était pas à prendre au sens littéral, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à la définition d'une île qu'on peut trouver dans un dictionnaire, celle qu'on apprend en cours de géographie au collège. Une île, c'est une étendue de terre entourée de mer. Et j'avais cette image d'un planisphère, avec tous les continents, séparés, entourés d'océans, et je ne pouvais pas faire rentrer cette image dans la définition. Je me demande si tu as remarqué que je n'avais pas compris à ce point.

Je pense que tu savais, parce que même sans jamais élaborer ton idée, tu as fait de cette phrase notre devise, notre mantra. Et si moi je te la disais en riant, comme on peut citer une réplique de film, toi, en revanche, tu me la déclamais, comme la plus grande tirade de Shakespeare. Je pouvais voir dans ton regard l'importance du sens caché de ces cinq mots, sans jamais deviner quel il était au juste.
Au début, j'ai pensé que tu te moquais de moi, ne serait-ce que gentiment. Puis, j'ai pensé que tu essayais de me faire comprendre à tout prix, et j'ai eu terriblement peur de te décevoir. Aujourd'hui, je sais que ce n'était rien de tout ça.

J'étais dans ce stupide hall d'aéroport, que j'avais tant haï la dernière fois où je m'y étais trouvée, lors de ton départ pour l'autre bout du globe. Tu es apparu dans les escalators, et la seconde où tu m'as repérée, tu t'es mis à descendre les marches, qui le font pourtant déjà toutes seules, juste pour me rejoindre plus vite. Tu avais un bras en écharpe, et ton barda à l'autre épaule, et tu t'es quand même précipité vers moi.
Et c'est à ce moment-là que j'ai compris ce que tu voulais dire. Le monde est une île parce que, aussi vaste soit-il, nous nous sommes trouvés, et aussi loin l'un de l'autre que nous puissions être, nous finissons toujours par nous rejoindre. C'est juste ta façon unique de me dire que tu m'aimes.